Abstract:
Le
Premier chapitre, « Conte et kont », se compose de trois parties. La première est conçue
comme un panorama des différentes approches d’étude du folklore en général et, en particulier
du conte. Les méthodologies, classées selon leurs objectifs de recherche, concernent la
sémantique, la structure et l’interprétation des récits qui font l’objet de différentes approches.
Nous verrons que, outre les disciplines déjà classiques, comme l’ethnologie, l’anthropologie
ou la narratologie, liées à la recherche sur le folklore et le conte, d’autres disciplines
s’intéressent aux genres de la tradition populaire, comme la sémiotique, la psychanalyse, la
sociolinguistique, la sociologie de la littérature et la sociocritique.
Dans la deuxième partie de ce chapitre, nous aborderons le contexte haïtien et éclairerons la
signification des trois mots-clés de notre recherche : oraliture, kont et conte. Ces concepts
seront mis en contexte et explicités à l’aide d’exemples ; nous verrons ainsi comment la
société haïtienne les met en récit, c’est-à-dire comment, dans différentes périodes historiques,
l’oraliture contribue à la transmission mémorielle des savoirs, qui en Haïti peuvent nourrir
diverses formes de résistance sociale et culturelle.
La troisième partie du premier chapitre sera consacrée au rapport entre l’oraliture et la
littérature écrite dans la Caraïbe francophone. Nous y discuterons les concepts associés à des
prises de positions identitaires des écrivains aux Antilles françaises, comme la « Créolité » (de
Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant) et la « Créolisation » (d’Édouard
Glissant), ce qui nous permettra par la suite d’expliciter les programmes et les manifestes du
mouvement indigéniste en Haïti et ceux du « réalisme merveilleux haïtien », conceptualisés
par Jacques Stephen Alexis en tant que l’expression de l’imaginaire culturel des Haïtiens,
enrichie par l’apport des éléments culturels amérindiens et européens. Cette discussion sera
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utile pour élargir notre perspective et interroger l’approche transculturelle de l’oraliture
haïtienne mise de l’avant par les travaux en littérature comparée de Maximilien Laroche.
Cette présentation des concepts théoriques et des approches littéraires servira à introduire
les principaux sujets du Deuxième chapitre. Nous nous y proposons de cerner les premières
formes écrites de l’oraliture haïtienne et la présence de cette dernière dans les œuvres qui
constituent le canon de la littérature haïtienne contemporaine. Dans un premier temps, nous
analyserons les premières tentatives de mise à l’écrit des genres de la littérature orale, en
particulier du chant, de la fable et du conte. Ensuite, nous essayerons de comprendre comment
et dans quelle mesure les récits oraux et la littérature écrite s’interpénètrent soit au niveau de la
structure (dans le « récit-veillée »), soit par intercalation des genres, soit encore par les
références intertextuelles au bestiaire qui peuple ici et là l’imaginaire populaire.
Le Troisième chapitre va s’éloigner des interrogations de type ethnographique et va être
axé plus spécifiquement sur le conte haïtien contemporain écrit. À l’aide d’une approche
comparative et interdisciplinaire, nous essayerons de comprendre dans quelle mesure les
différents contextes de production et de diffusion influent sur les réécritures contemporaines
des contes. Dans un premier temps, notre corpus d’analyse comprendra les œuvres de trois
conteuses haïtiennes contemporaines Ŕ Paula Clermont Péan, Joujou Turenne et Mimi
Barthélémy Ŕ qui habitent respectivement trois espaces différents : Haïti, le Québec et la
France. Nous allons utiliser plusieurs approches Ŕ narratologique, sémiotique, sociocritique et
sociopoétique Ŕ afin de cerner certaines différences et similitudes au niveau de la structure, du
type de représentation des personnages, des thèmes et des choix éditoriaux, mais également
pour saisir les références autobiographiques ou autofictionnelles, plus ou moins explicites,
dans le texte. Nous verrons si dans leur différents parcours professionnels, deux conteuses
« diasporiques » (Mimi Barthélémy en France et Joujou Turenne au Québec) tiennent compte
du contexte interculturel, et en particulier, si leurs prises de position (idéologiques et
esthétiques) répondent à des stratégies d’intégration ou d’assimilation préconisées
officiellement par les programmes gouvernementaux.
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Dans un second temps (dans la deuxième partie du chapitre), nous examinerons la situation
actuelle du conte écrit en diaspora : en Haïti, au Canada, en France et aux États-Unis où se
trouve la plus grande communauté haïtienne. Notre but sera de vérifier si les caractéristiques
principales repérées dans les analyses de la première partie confirment la tendance au
renouveau du conte haïtien ou si, au contraire, il s’agit plutót de parcours isolés.
La dernière partie du troisième chapitre sera consacrée à l’étude des écrivains haïtiens
contemporains qui, sans être véritablement conteurs, pratiquent la littérature d’enfance et de
jeunesse sous la forme des contes inédits, et qui ne s’inspirent guère du conte traditionnel ou
de la tradition orale. Ce phénomène, commun à plusieurs auteurs vivant en Haïti ou en
diaspora, peut s’expliquer par le succès éditorial du conte écrit et aussi par la volonté de
s’adresser à un public plus vaste que le public usuel. À partir de ce constat, nous allons
observer dans quelle mesure, à l’instar des conteurs et conteuses contemporain(e)s, le contexte
de production et diffusion différencié influe sur l’écriture et, en particulier, sur les thèmes
abordés. De même, nous allons essayer de repérer les références à Haïti et à sa culture dans
ces nouvelles écritures lesquelles, en diaspora, peuvent être conçues pour un public étranger à
la réalité haïtienne.
Le Quatrième chapitre sera consacré à la lodyans Ŕ genre adressé à un public adulte, qui
se nourrit de l’oralité haïtienne, et qui connaît de nos jours un large succès éditorial dans sa
version écrite. Après avoir fait un historique de ses premières formes écrites, nous prendrons
en examen l’écriture de la lodyans de quatre auteurs Ŕ Gary Victor, Verly Dabel, Georges
Anglade et Stanley Péan Ŕ pour saisir les diverses utilisations qu’ils en font. Nous verrons, en
particulier, comment la façon avec laquelle ils pratiquent l’écriture (romanesque dans le cas de
Victor, essayistique dans le cas de Dabel) influe sur le style et le registre d’énonciation du
lodyanseur. En ce qui concerne Georges Anglade et Stanley Péan, nous prendrons en compte
les facteurs diasporique et générationnel qui semblent marquer leur conception de la lodyans
et les différents types d’humour qui lui sont associés.
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Notre recherche se propose d’interroger trois enjeux essentiels : le passage de la tradition
orale à l’écrit, la question de la coexistence entre tradition et innovation et celle de
l’émergence des nouvelles formes de l’oraliture haïtienne. Nous voulons capter de la sorte le
processus historique allié à la redécouverte et la modernisation du patrimoine culturel
traditionnel en Haïti. La dynamique qui caractérise ce procès littéraire nous paraît
indissociable de la quête identitaire des jeunes générations dans un contexte postnational où
les valeurs du pluralisme, de l’inter- et de la transculturalité deviennent primordiales. Une telle
mise en perspective, nous incite à voir le conte et d’autres genres de l’oraliture haïtienne
comme un dispositif de sens, images et valeurs universels, communs à toutes les cultures,
favorisant aujourd’hui les liens et les liaisons entre des sociétés différentes, suscitant
l’ouverture à l’Autre et la perception de l’Autre en soi.